Nathan raccrocha. Il garda le téléphone en main quelques instants, fixant sans le voir le vieux modèle. C'était un cadeau d'une de ses tantes, au noël de ses 12 ans. Elle le lui avait offert après qu'il lui eût confié trouver les couleurs des téléphones de l'époque fade. Les coques n'existaient pas pour ce type d'appareil, qui se dépliait et se repliait d'un mouvement sec de la main. Il était jaune fluo, et de jolies fleurs finement peintes rayonnaient de leurs couleurs chatoyantes en laissant leurs racines former un joli méli-mélo arc-en-ciel. Nathan l'avait toujours adoré, et malgré les progrès de la technologie, il avait toujours refusé de s'en séparer, même pour un smartphone.

Mais, à l'instant, ses pensées n'étaient pas fixées sur les plantes multicolores. Ce coup de fil provenait d'un ami. A l'origine, David et Nathan s'étaient contactés grâce à un professeur d'art dans une école spécialisée. A l'époque, le jeune garçon cherchait des modèles qui accepteraient de poser nus pour lui. Coup de chance, David était étudiant et avait besoin d'un peu d'argent facile. Fils de chasseur et bon traqueur lui-même, il pouvait passer des heures sans bouger. Le profil parfait. Au fil des séances, les deux hommes s'étaient rapprochés, sans jamais dépasser le stade de l'amitié. Par conséquent, même lorsqu'il avait finit ses études, David avait continué à poser pour Nathan, et Nathan avait continué à payer David. Mais aujourd'hui, et pour la première fois en trois ans, David ne pouvait pas. La vague de gastro l'avait saisit, retourné et mis à sac.
Et merde.

Combien de temps depuis le dernier dessin d'anatomie ? Presque deux mois. Dessiner, peindre, créer, c'était un besoin primaire, presque bestial pour Nathan. Certains se droguent à l'héroïne, lui c'est le fusain. Il avait besoin de faire un dessin de nu, il sentait ce désir rugir en lui. Jamais, au grand jamais, Nathan n'avait abusé d'un de ses modèles. Ce qu'il faisait était strictement professionnel. Cela lui avait valu autant de félicitations que de critiques, mais il se fichait autant de l'un et de l'autre. Il voulait sa dose, et il la voulait maintenant.

< Nath', où tu vas ? >

< Chercher des modèles. >

< Prends tes clés, je pars dans cinq minutes. >

Anna lui lança ses clés, qu'il attrapa en vol et fourra dans la poche de son blouson en cuir. Puis, parce que sa cousine y tenait, il fit un arrêt devant la glace avant de partir. Il lui était déjà arrivé de sortir en plein hiver sans se rendre compte qu'il n'avait pas mis de pantalon, et la jeune fille lui avait couru après, un jean à la main, agitant éperdument les bras et hurlant son nom. Coup d'oeuil désintéressé : des baskets, un jean, un t-shirt, un blouson et un bonnet qu'il vissa sur ses oreilles sans prendre en compte le fait qu'il appartenait à Anna, et qu'il possédait par conséquent des oreilles de lapin et un pompom sur le sommet. Lorsqu'il ouvrit la porte, le vent violent lui fouetta le visage et le froid le mordit sauvagement. Il inspira avec délices l'air glacé et sortit.


Les quartiers chauds de la ville. Il y avait déjà été. Les boîtes de nuit étaient accueillantes, le cinéma pas trop cher (oui, les riches aussi sont radins) et... non mais, pourquoi il aurait à justifier le pourquoi de sa connaissance des quartiers chauds, hein ? (la vraie raison, c'est que la plupart des tags sont de lui. Ici, au moins, la police ne le pourchasse pas. Vous avez cru quoi, bande de pervers ?). Le père de Nathan l'avait déjà lâché, sans armes, vers ses 10 ans, dans des quartiers chauds avec obligation de rentrer à la maison avant la fin de la semaine. De fait, Nathan savait à présent comment agir dans ce genre d'endroits.

Il s'avançait, droit, fier, la tête haute, de cette démarche pressée qu'on les gens qui savent où ils vont et ce qu'ils vont y faire. Cela lui était difficile, avec son caractère extravaguant, mais il savait que laisser sa personnalité exploser ici était dangereux. Plus pour les autres que pour lui, en fait. Son père avait fait de lui un garçon débrouillard, capable dans tout les milieux et pouvant se défendre. Se défendre, mais pas attaquer, avait-il martelé.

Nathan regardait les prostitués. Il n'avait pas envie d'une femme, aujourd'hui. Il s'était mis en tête qu'il dessinerait un homme, en l'occurrence David, et il s'y était préparé, jetant un coup d'oeuil à ses cours d'anatomie masculine. L'avantage avec les prostitués, c'est que peu se rebiffent quand on les observent longuement. Il ne se fit pas prier, et commença à filtrer les "prétendants". Trop maigre, trop grand, trop petit, trop efféminé, trop musclé, trop dangereux... il en arriva à un garçon d'à peu près son âge, grand mais pas trop, blond. On voyait les muscles sans qu'ils soient sur-développés. Un type proche du physique de David. C'était parfait ! Nathan s'approcha.

< Combien pour une séance d'environs trois heures ? Vous posez nu pour moi, rien de plus. >