C'est une petite forêt tranquille sans grand intérêt. Un sentier de terre battue y court, ridicule trace humaine entre les géants millénaires et seule preuve que l'homme ai posé son pied dans la végétation dense de cette forêt. Bien sûr qu'en hiver, c'est moins beau : Il n'y a pas ce petit vent frais qui agite les arbres ; ce n'est qu'une bise glacial, un baiser mortel qui fais craquer les branches et arrache sans pitié les dernières feuilles ; seuls, les pins osent encore arborer face à Eole un ramage vert insolent, et ils défient le dieu de leur prendre leurs épines. C'est une lutte banale, ennuyeuse, et rien ne se passe vraiment.

Mais tout d'un coup voici qu'arrive la star des colorants pour cheveux, le maître de la bêtise absolue, celui qui a survécu à toute les conneries qu'un humain peut faire : Nathan ! Et d'ailleurs, il en monte une, de connerie. Rapprochons-nous donc de ce cavalier insolite qui fait fuir les animaux par la couleur vive de sa crinière (couleur vive = dangereux = Nathan. à savoir que dangereux = Nathan marche aussi). Zoomons, encore et encore, toujours plus près, jusqu'à rentrer dans sa tête...

Je m'ennuie. J'aurais pas dû faire ça. Hé, toi, mais qui est-tu ? De la compagnie ? Magnifique ! Je vais te raconter comment, moi, qui haine tant la solitude, en suis arrivé à faire cavalier solitaire (ha, ha) dans cette paumée de forêt. Tout a commencé ce matin : c'était un beau dimanche, aucune révision ni devoirs à faire, il faisait assez beau, et, miracle ! la neige était fondue ! Bref, tout allait parfaitement bien dans le meilleur des mondes. J'ai donc cavalé jusqu'aux écuries et sortit nos deux chevaux, Jazz (qui est un gros hongre boulonnais, un cheval de trait) et Splatch (Prince de son vrai nom, étalon alezan de race inconnue).

L'autre jour, en ville, j'étais tombé sur des peintures. Mais pas n'importe quelle peinture ! Moi, à la base, je voulais de l'aquarelle, mais c'est cher, et puis comme c'est cher c'est dur à trouver, alors je suis entré dans un magasin spécialisé, mais j'étais déçu parce qu'il devait refaire son stock, le magasinier pas le magasin, hein, quoique le magasin aussi... et du coup, j'ai trouvé de la peinture pour animaux, plein de teintes ! J'ai craqué, j'en ai prit plein.

Et là, j'ai commencé par Jazz, parce qu'il est vieux et blanc et comme il est vieux il ne bouge pas. Je l'ai super bien peint, rose avec des poids violets et des petites fleurs rouge et pourpre, parce que j'aime bien les couleurs chaudes, mais du rouge s'aurait été moche en fond, alors que rose c'est bien.

Et ensuite, j'ai prit des pinceaux tout fin, et j'ai peint Splatch, je lui ai fait une robe super-réaliste comme s'il n'avait plus que des os et des organes. Du coup, comme je faisais petit bout par petit bout, ben je voyais pas tout. Et quand je me suis reculé, j'ai vu le tout. C'était trop bien fait, j'te jure ! Tellement que ça m'a rendu malade. J'ai vomi des trucs que j'me rappelais pas avoir mangé, enfin bon si peut-être, hier j'ai tenté de manger la bouffe pour les chevaux pour voir quel goût ça a, mais pourquoi ils aiment ça Jazz et Splatch ? C'est dégueu ! Si les chevaux pouvaient manger ce que nous on mange, ils mangerait pas ça, mais du coup l'industrie s'effondredrait et il y aurait des tas de gens au chômage parce que j'ai goûté la bouffe de mes chevaux.

Et donc du coup sur ça Anna (c'est ma cousine-petite soeur-confidente-rammasssetoutaprèsuneexpérienceratée) arrive, met un drap sur le corps de Splatch (j'avais pas fini de lui peindre la tête), me donne un médoc pour mon ventre, met une bride sur Jazz, me met sur Jazz sans selle et m'envoie me promener dans les bois le temps qu'elle lave Splatch. Elle est gentille Anna, mais bon, moi je m'ennuie, ici, mais je m'ennuiiiiie !

...
Voici donc pourquoi ce jeune homme monte un immense cheval rose à poids violets et à fleurs rouge et pourpre. C'est certes une cavalerie pour le moins... étonnante et détonnant, mais le couple cavalier/cheval s'entend bien. Au moins, l'hongre ne bronche pas pendant que Nathan parle à s'en faire mal à la voix. Cet être est fait pour parler, et parler à un cheval lui donne l'illusion de parler à une personne qui pourrait lui répondre. Et ainsi,...

Ouais mais Jazz, il me répond pas, enfin remarque, c'est rare que les gens me répondent, mais au moins ils écoutent un peu, Jazz aussi il écoute mais il comprends pas, mais les gens comprennent pas non plus, donc ça montre que Jazz est un réincarnation humaine sous forme d'un tas de graisse à quatre pattes ! Et puis...

JE parle, c'est moi la voix-off. Et ainsi, les deux compères se baladent gaiement. Ah oui, c'est un beau jour vraiment. Mais voici que parmi les fourrés et les herbes, une onde se déplace. Les oiseaux se taisent, les branches cessent leurs entêtantes mélodies du vent dans les feuilles. Quelqu'un arrive, une chose se prépare, une rencontre, et tout un chacun retient son souffle...

Nathan est bizarre. Nathan est fou. Nathan est différent. Nathan est décalé. Mais Nathan n'est ni sourd, ni idiot. Il sait que ses actions passent pour étranges et presque malsaines auprès de la plupart des gens ; il se rend bien compte que ce n'est pas normal. Et il sait aussi que se retourner pour marmonner quelque chose à une personne imaginaire, ce n'est pas normal non plus. Pourtant, l'autre n'avait pas parlé fort. Seulement, les autres ne parlent jamais fort quand ils médisent sur lui ; aussi, Nathan a développé une bonne ouïe, et connaît les rudiments pour lire sur les lèvres. Au moins, il peut savoir si on dit du mal de lui ; ce n'était pas le cas. Rien que pour ce petit fait, Nathan décida que l'inconnu méritait sa sympathie.

Le garçon roux avec son chien excitait son insatiable curiosité. Son énorme cheval à lui était peint en rose, ses cheveux étaient rouges, et il n'avait même pas de selle. N'importe qui aurait reculé, se serait méfié, voir retourné et enfui entre les arbres, mais pas lui. Lui, il restait. Lui, il parlait à une personne que Nathan était pratiquement sûr d'être incapable de voir ; mais, par tous les caleçons puants du mangeur de chèvres d'Alaska, qui était ce lui ? Pourquoi ne le craignait-il pas, pourquoi ne s'enfuyait-il pas ? Pas un frémissement, pas un éclat de rire ironique et blessant, pas un mouvement de rejet ou de dédain. De la surprise. De la courtoisie. Une chose toute simple, toute bête. Une chose à laquelle Nathan avait renoncé de la part des autres.

Il descendit de son tas de graisse, les mains levées, bien en évidence. Son cheval regardait, placide, la scène mille fois vue. Le garçon aux cheveux roux lui avait fait une remarque, mais il ne voulait pas répondre. Pas tout de suite. Garder le silence lui en coûtait ; il souffrait de ne pas laisser son imagination débridée prendre le contrôle ; il la sentait en lui, renâclant, piaffant, se cabrant tel un étalon furieux qu'aucune corde ne pourrait attacher, qu'aucune cravache ne pourrait briser. Et pourtant... cette fugace impression qu'une parole pourrait tout détruire... cette seconde de silence créée par un rien bordé de jaune... ce laps de temps où ils se découvraient, et qui n'appartenait qu'à eux... c'était fragile et puissant, timide et extravaguant, ça avouait tout en ne disant rien. Une seconde, rien qu'une petite seconde, pour observer l'autre. Une seconde pour une éternité. Car Nathan n'oublie pas ; il n'oublie jamais les visages.

Puis le temps reprit sa course effrénée, et Nathan sut qu'il devait répondre. Parfois, ses réponses faisaient fuir ceux qui étaient restés ; serait-ce le cas ? Cette possibilité le faisait frémir. Un frisson d'excitation le parcouru. Pour lui, ses réponses avaient du sens ; il comprenait que les autres les jugent décalées, même s'il restait incapable d'en faire des "normales". Il ne savait jamais la réaction qu'aurait son auditoire. C'était son aventure. Chaque personne est différente, chaque être est unique, et même s'il pouvait classer les réactions dans des grandes familles (peur/désarroi/colère/tristesse/rire/suspicion), il chérissait et aimait chacune d'elles, même les plus horribles. Les souvenirs le rattachent à ce monde.

< Oui. Le bleu lavande lui aurait peut-être mieux sied, non ? Mais ça n'allait pas avec le rouge. Quelle couleur j'aurais dû utiliser si j'avais fait un zèbre ? Je veux dire, sa robe naturelle est blanche, donc pas besoin de mettre un fond ; j'aurais fait les zébrures avec une seule couleur, pour voir ce que ça fait. Mais quelle couleur ? Pas noir, hein, c'est trop réaliste et c'est triste. Tu devrais attacher ton chien, il est en train de se barrer. Je te prête une rêne pour l'attacher ? >

L'étalon, furieux, était sortit en trombe, et Nathan s'était perdu un instant dans le roulement grondant de ses sabots ; il s'était retrouvé, et avait réussi à brider cet être de feu. Pourtant, il le savait : il en avait trop dit. Ne serait-il jamais capable de construire une vrai relation avec un humain ? Et pourquoi essayer sans cesse ? Ne serait-il pas plus simple de vivre en ermite ? Non, impossible. Il aime les être humains, à défaut d'être aimé d'eux ; vivre loin de toute présence humaine représentait plus pour lui une mise à mort qu'une délivrance. Et puis les humains seuls sont encore capables de le retenir à la raison ; sans eux, il serait devenu fou, complètement irresponsable, incapable de s'occuper de soi-même. Un légume idiot, un boulet pour la société.

*Et puis c'est pas logique. T'as bien résumé le chemin d'mes pensées, mais là y'a anguille sous roche, et même brochet sous roche ! J'veux dire, sans les humains, ok, je serais devenu fou ; mais j'pourrais pas être un boulet pour la société : y'aurait plus de société ! Parce que, moi, pas moyen de m'éloigner de la société pour d'venir fou, y faudrait carrément que y'ai plus de société. Tout ça, ça fait des frissons dans le dos, et ça fait penser au Monopoly (j'y suis super fort). Ben ouais, le Monopoly, c'est un jeu de société ! Et si la société disparaissait, les Monopoly aussi. Donc si les Monopoly disparaissaient, je deviendrai fou.. C'est pourquoi on en a toujours un avec Anna, à la maison. Logique, non ? non ?*